Un bloc Tshisekedi-Fayulu face à l’axe Kabila-Nangaa ?

Alors que Fayulu tend la main à Félix Tshisekedi pour un dialogue sans compromis et que la présidence répond favorablement, la crise dans l’Est de la République démocratique du Congo révèle un possible basculement politique. Un front commun entre l’opposant historique et le chef de l’État est-il en train de naître pour contrer l’axe Kabila-Nangaa, accusé de manipuler les violences pour des ambitions inavouées ?

Un bloc Tshisekedi-Fayulu face à l’axe Kabila-Nangaa ?
De gauche à droite, Félix Tshisekedi, Martin Fayulu, Joseph Kabila et Corneille Nangaa — Montage de ©️Odon Bakumba

La crise qui secoue la République démocratique du Congo (RDC) révèle des lignes de fracture politiques de plus en plus claires. Dans un geste inattendu, Martin Fayulu, président du parti ECiDé, a tendu la main au président Félix Tshisekedi. Lundi 2 juin, il a sollicité une rencontre « sans faux-semblants » pour discuter de l’avenir du pays, dans un contexte où l’intégrité territoriale est à nouveau menacée par les violences dans l’Est.

Cet appel a trouvé un écho rapide à la présidence. Félix Tshisekedi a salué par le biais de sa porte-parole, Tina Salama, « le patriotisme » de Fayulu et confirmé sa disponibilité à dialoguer, « pour sauver la République de la prédation qui menace les institutions et l’intégrité territoriale ».

Ces déclarations signalent un possible rapprochement entre le pouvoir et une frange de l’opposition républicaine, dans l’espoir de construire un front commun contre la crise.

Le poids des accusations

Le timing de ce rapprochement est révélateur. Fayulu n’a pas seulement appelé au dialogue : il a aussi explicitement désigné les acteurs qu’il considère comme responsables des violences. Il a mis en cause Corneille Nangaa, chef de l’AFC/M23, l’accusant d’être « complice des massacres » et des pillages en cours. Plus encore, il a sommé l’ancien président Joseph Kabila de « quitter Goma », où il séjourne actuellement, soupçonné de manœuvres visant à exploiter la crise pour des intérêts politiques ou personnels.

Ces accusations résonnent avec les propos de Félix Tshisekedi à la Conférence de Munich sur la sécurité en février dernier. Il y avait dénoncé le rôle d’une partie de l’opposition, affirmant que certains ont « pris les armes » et se sont alliés au Rwanda pour « déstabiliser le pays ». Il avait alors pointé du doigt l’ancien président Kabila comme un « vrai commanditaire » se cachant derrière ces violences.

Une fracture de plus en plus nette

Ces éléments laissent entrevoir une recomposition politique inédite : d’un côté, un axe Fayulu-Tshisekedi qui, au-delà de leurs rivalités historiques, convergerait pour défendre la souveraineté du pays. De l’autre, un bloc Kabila-Nangaa accusé de manipuler la crise pour asseoir une influence déclinante ou revenir au premier plan.

Pour l’heure, la faisabilité de cette alliance de circonstance reste fragile. Fayulu, figure de l’opposition radicale, reste en profond désaccord avec le bilan de Tshisekedi et sa gestion du pouvoir. De son côté, le président devra convaincre de la sincérité de son engagement pour un dialogue national dépassant les clivages partisans.

Enjeux et perspectives

Mais au-delà des postures politiques, c’est l’ampleur de la crise dans l’Est qui impose ce rapprochement. Avec les violences qui se multiplient, la pression sur les acteurs politiques pour afficher un front uni devient de plus en plus forte. Dans un pays où les rivalités personnelles ont souvent pris le pas sur les intérêts collectifs, la perspective d’un « bloc patriotique » contre la balkanisation pourrait séduire une opinion publique lassée des querelles de pouvoir.

La question reste entière : cette convergence Tshisekedi-Fayulu sera-t-elle de courte durée, dictée par l’urgence, ou amorcera-t-elle un véritable changement d’alliances dans le paysage politique congolais ? À Kinshasa, l’heure est à la prudence, mais la dynamique est désormais lancée : la crise dans l’Est rebat les cartes, et la scène congolaise semble bel et bien en train de se polariser autour de deux pôles majeurs.

Bak